Te souviens-tu encore de ce pays du rêve, immense et sans borne ?
Pays de l’enfance et du cœur, à l’année qui oscille entre deux saisons : sèche et pluvieuse. D’abord la rosée dans l’herbe, la poussière, le froid, les stridulations des grillons qui saturent l’air au soir, les pieds qui gercent et les lèvres qui sèchent. Ensuite, l’odeur du sable mouillé, les fourmis volantes qui jaillissent de la terre, les soleils de pluie et les croassements dans les marres.
Te souviens-tu encore de ce pays du rêve et de ces visages dessinés à la brindille sur le sable ?
Des chenilles à la sauce d’arachide et au piment, des tubercules de manioc, des bassins de légume en équilibre sur les têtes des vendeuses ?
Te souviens-tu de ces enfants que nous étions qui se tenaient par la main et qui tournaient en chantant, des histoires chuchotées à l’oreille devant un feu de bois, des matchs de foot et de nos baignades dans la rivière ?
De la ficelle dans la bouche de la tresseuse, de l’eau que l’on verse sur les braises encore chaudes pour les éteindre et les réutiliser plus tard, de la salive appliquée sur la brûlure, du petit insecte dans l’œil que l’on chasse d’un souffle, de la cordelette de pagne autour des hanches des petites filles, du sel qui servait de dentifrice, des bouteilles remplies de sauterelles, du bouchon de bière aplati et collé au talon de la chaussure, de l’avocat qui murit au fond du sac de farine, de l’hélice de feuille de manguier, des tubes creux des branches de papayer pour jouer à la guerre, de la patate douce sous le braséro, de l’odeur de l’huile de palme sur la peau, de la forme figée au cœur de la bille, du fer à braise en fonte avec un fermoir en coq, des habits qui sèchent sur les hautes herbes, de la tige de balai sorti du brasero que l’on remue pour faire des formes en ellipse dans le noir…
Te souviens-tu de ce pays du rêve ?