A la Biennale de Venise, sur le pavillon belge, l’artiste Sammy Baloji, exposait deux projets : Essay on Urban Planning, un montage confrontant vues aériennes de villes et planches historiques de moustiques – une réflexion sur l’enjeu politique de toute cartographie – et Sociétés Secrètes, une installation où se mêlent l’industrialisation du Congo et l’histoire coloniale.
Les scarifications identitaires oubliées
Les fines feuilles de cuivre martelé sont autant de feuillets de l’histoire qui fut confisquée aux populations qui vivaient au Katanga, lorsque le Congo était assimilé à l’Empire colonial belge. Sammy Baloji est né à Lubumbashi, en République Démocratique du Congo. Il n’y a pas d’amertume dans sa démarche. Il porte un regard objectif sur l’histoire d’un pays privé de ses propres richesses, qui a oublié sa culture vernaculaire. Les plaques de métal de son installation sont les peaux des corps nus des Lunda et des Lubas ornées des scarifications identitaires : des motifs géométriques et abstraits élaborés, comme autant de cartographies d’une symbolique perdue. Il ne cherche pas à redonner le sens de ces motifs appartenant à des initiés. Ce sont des témoins qu’il brandit tels des étendards, il redonne la parole aux oubliés.
Tout est une question de point de vue
Et comme Sammy ne laisse rien au hasard, la silhouette de la coupole est elle-même un rappel d’une autre aberration de l’histoire. En 1925, la Fédération internationale des anciens combattants choisit Liège pour l’édification d’un Mémorial interallié pour commémorer la Première Guerre mondiale. Or, l’Église du Sacré-Cœur associée est dessinée dans un style néo-byzantin pour recevoir une coupole recouverte de 13 tonnes de feuilles de cuivre provenant du Katanga. Un monument condamnant l’horreur de la guerre des tranchées va finalement cautionner l’exploitation du travail des hommes dans les mines du Congo, le pillage des ressources naturelles d’un pays dominé. Sammy propose une lecture corrosive du passé, révisant ainsi l’histoire officielle.
Un artiste n’est pas un historien
À quelques kilomètres de Bruxelles, se trouve le Musée Royal de l’Afrique centrale à Tervuren. L’artiste a mené un véritable travail d’enquête à la bibliothèque pour nourrir son œuvre. Dans les archives, il a sélectionné les photographies des ethnologues, compilé les textes, visionné les films pour retrouver le fil conducteur et redessiner les contours de cette mémoire. Sa démarche est une réinterprétation, une lecture subjective de cette période. Une occasion également pour questionner sa propre identité et celle de son pays. Il y a une « révolte sensée » en lui, qui lui donne une force et une assise considérable. Puiser dans cette mémoire, c’est comme se trouver face à une matière brute qui ne demande qu’à être façonnée. Sammy a l’intelligence de lui donner corps. Face à sa réflexion, on ne peut douter qu’il a posé les premiers jalons d’une œuvre monumentale.
Agenda
- Galerie Imane Farès (Paris), du 14 avril au 30 juillet 2016.
- Wiels Contempory Art Center de Bruxelles, du 8 mai au 14 août 2016. Urban now, City life of Congo.
- Bozar de Bruxelles, du 7 octobre au 16 janvier 2017, le Congo dans la peinture populaire, un autoportrait.
- Fondation Zinsou (TBA)
Texte : Stéphanie Pioda
Photos : Alessandra Bello, Rosa Spaliviero