L’afflux d’armes au Nord Kenya provenant des conflits voisins combiné à la sécheresse chronique attise les conflits ancestraux qui opposent les tribus pastorales de cette région de l’Afrique de L’Est. La tradition locale du raid y prend une ampleur et une gravité incontrôlable.
Dans cette région aride du Nord Kenya régulièrement frappée par la sécheresse, on pourrait croire que ces nomades Turkanas migrent vers des pâturages plus verts. En réalité ils fuient, avec leurs femmes et leurs enfants nichés au milieu des gourdes en peau de chèvre, casseroles et instruments de musique divers transportés par les ânes. Ils fuient l’attaque d’un groupe de Soudanais : les Toposa, une tribu pastorale voisine qui a l’habitude de mener ses bêtes sur les terres plus clémentes du Kenya. En imposant une pression très forte aux ressources déjà rares, la sécheresse qui ravage les zones arides et semi arides de la corne de l’Afrique exacerbe les conflits chroniques qui opposent tribus pastorales du Nord Kenya, du Sud de la République du Sud-Soudan, de l’Est de l’Ouganda et du Sud de l’Ethiopie. Poussés les uns vers les autres sur des pâturages de plus en plus restreints, les tribus, traditionnellement ennemies, multiplient les attaques pour prendre le contrôle des rares points d’eau et agrandir leurs troupeaux.
L’alimentation des Turkana, basée sur le lait et le sang qu’ils tirent de leur bétail, agrémentés de fruits sauvages et de farine de sorgho et de maïs, en souffre immédiatement. Beaucoup meurent de maladies bénignes. Plus de la moitié de la population du district dépendent de l’aide alimentaire selon Elizabeth Nabutola, responsable du Programme alimentaire mondial au Turkana. Quand les assaillants sont nombreux, en plus du bétail, ils s’emparent du campement et des biens des familles, tuant parfois femmes et enfants au passage. “Nous perdons beaucoup de membres, surtout des enfants et des vieux, déplore Lodoe, un chef de clan de Naporoto. Nous ne les comptons pas car c’est une honte pour notre communauté.”. Les efforts des organisations locales visant à établir des accords autour du partage des ressources restent vains, la proximité et l’abondance d’armes attisant les conflits. Chaque gardien de troupeau, même si c’est un enfant, possède un fusil.
Les tentatives de désarmement du gouvernement kenyan n’ont aucun impact tangible. « Ces tribus sont ennemies depuis la nuit des temps ! Avant elles utilisaient des lances et des couteaux. Avec des fusils, c’est plus difficile. Tant que le désarmement n’est pas régional, on peut toujours nettoyer tant qu’on veut, les armes continueront d’affluer tous les jours des pays voisins », commente Joseph Okisai, l’officier en charge de la sécurité à Lokichoggio. Pour James Ndun’gu, de l’organisation Safer World, la problématique est essentiellement politique. « Le gouvernement kenyan ne se met pas en position d’assurer la sécurité des ces communautés. Tant que l’Etat ne déploiera pas de moyens, le désarmement demeurera sans effet. Les tentatives précédentes ont même créé une nouvelle demande d’armes. Cela revient à ramasser de l’eau avec un seau troué ».
Les Turkana armés tant par la Police kenyane -qui en fait des réservistes- que par le commerce illégal d’armes venues du Soudan, de l’Ouganda et d l’Ethiopie, sont forcés d’assurer leur propre sécurité. La distinction entre les armes légales et illégales est très difficile. « Les institutions, très ‘personnalisées’ localement, laissent un grande place à la corruption », explique James Ndund’gu. Loin de sécuriser la communauté, la plupart des réservistes utilisent leurs armes pour leur propre compte et celle de leur clan.
Turkana, Toposas, Dodoth et Tepeth partagent la même langue, les mêmes rites et le même culte à la figure du guerrier. La participation à un raid est un passage obligatoire pour les jeunes nomades qui prétendent accéder au statut d’homme. C’est aussi l’unique moyen d’obtenir une jeune fille dont la valeur, en nombre d’animaux, peut être très élevée.
Text Caroline Six – Photos Gwenn Dubourthoumieu