La bise du soir fleure bon l’air du grand large. Le véhicule sustente littéralement et, dans les zones de turbulence, sa carlingue nous balance de gauche et de droite. Les vitres paraissent de grands hublots, dans le bleu-grisâtre du bitume. Nous sommes partis de Cotonou au jour naissant. La voiture tout terrain, choisie exprès pour affronter le relief versatile de l’Atacora, nous reste compagne constante. Dans son fuselage oblong, nous volons droit vers la réserve. Les montagnes alentour, ont des moutonnements de courbes mathématiques. Dans le creux de l’une d’entre elles, s’écoule, légère comme un voile de mariée, la chute de Tanougou. C’est comme une pluie fine, une pluie perpétuelle, une pluie blême. Nous faisons une halte. Tout là-haut, quelques enfants tous nus, se faufilent, tels des anguilles, dans l’eau trouble, en contrebas de la roche. La source non loin, nous chante comme une douce mélopée, faible et envoûtante. De ses gouttelettes qui nous câlinent, la chute semble nous inviter à la baignade. Je ferme les yeux, et me laisse envahir par la sereine beauté des lieux : les karités aux tétons noueux, les pierres mille fois frôlées par cette eau millénaire, jusqu’aux herbes qui déroulent le tapis vert pour la nature exubérante de cette chute enchantée.
Le souvenir rafraîchissant de son halo de dentelle nous mène jusqu’à la réserve où nous passons la nuit dans des cabanes traditionnelles. À l’aube, nous partons enfin à la découverte de la Pendjari. Le jour est hésitant, les arbres, les fleurs, les pistes ont encore les mirettes fermées.
Le ciel aussi s’étire de sommeil puis consent à entrouvrir ses grises prunelles. Les rayons du soleil transigent pourtant à nous regarder. Le jour se lève enfin quand nous sommes déjà au cœur de la réserve. Ici, la jungle semble n’avoir de limite que le fuyant horizon. Dans les fourrés, les gazelles promènent leurs silhouettes de top modèle. Les singes espiègles, nous épient depuis les branches des bouleaux et des nérés de toutes les tailles. Et les oiseaux sont des milliers d’étoiles dans l’azur…
Dans la brume de ce jour primitif, nous apercevons enfin, au loin, un éléphant seul. Il s’arrête un instant, nous scrute de son regard de pachyderme, puis reprend son petit déjeuner tout en branches. Nous poursuivons jusqu’à la mare Sacrée, montons sur le mirador. Autour de l’eau, toutes les espèces de la réserve se succèdent. Il y a quelques chacals et des hyènes, des buffles et des cobes de Buffon, et bien sûr des hippopotames qui se prélassent, de leur grand air docte, dans la glaise de la mare. Il y a surtout le guépard, ce trop grand chat aux tâches brunes, véritable emblème du parc : de sa silhouette souple et élancée, cet Ulsain Bolt de la savane semble régner sur la mare, et sur toutes les espèces présentes. Sur presque toutes en fait.
Nous repartons à sa quête. À la quête du roi de céans. Nous distinguons, par endroit, des damalisques postés en sentinelle, pour surveiller. – Le lion ne doit pas être loin, prévient le guide. Il nous apparaît au détour d’une sente, mi-couché à flanc de talus. Il a la grâce naturelle de ces majestés au sang bleu. Dans le gris-rouille de ses prunelles, affleure la sérénité des altesses. Quelques mouches lui forment une cour qu’on devine bruyante. Par moments, d’un léger coup de patte, il disperse toute cette ménagerie, qui revient se poser très vite. La crinière blonde, au brushing parfait, figure une couronne de monarque. Alors que le félin s’abandonne à une petite sieste, je goutte la pureté de cette nature sublime. J’ai des envies de me rouler au sol, de me coller aux silhouettes chétives des baobabs, de ne faire plus qu’un avec ce tout si complet. Ici palpite la vie. Ici est la nature, la plus belle, la plus sauvage. J’ai comme trouvé la paix en moi, et autour de moi. L’Eden ne devait pas différer de ce parc. Je repars, complétée, avec en moi tous les souvenirs de cette journée inoubliable, comme gravés à la pierre, sur le tronc de l’arbre de mon cœur.
Par Carmen TOUDONOU