par Diane-Audrey NGAKO
À Thécla, ma grand-mère maternelle (Mbombo).
Grand-mère, j’aurais aimé te raconter ce que je viens de vivre, mais tu n’es pas là. Alors je vais tout t’écrire. J’ai rencontré une personne, un garçon, il vient de la région des Grassfielfs, tu sais la zone des hauts plateaux du mboa (pays) où vivent notamment les Bamilékés. Tu sais c’est aussi la région de papa, mais je ne l’ai connu que très tard, à 23 ans. Je n’y ai pas développé d’attaches comme avec ma culture Bassa, celle que maman, ma tante Lisette et toi m’aviez transmise.
Mbombo, dans une autre lettre je te parlerai de ce garçon, mais aujourd’hui laisse-moi te parler de Batoufam. Non, ce n’est pas son village, il est Bangoua, mais c’est à environ 20 minutes. Voici bientôt quatre ans que je suis partie de la France pour revenir au Cameroun. Il m’a fallu plus de trois ans pour me sentir à la maison et figures toi que c’était ni à Douala,ni à Pouma, mais à Batoufam (Tswêfap en dialecte nda-nda, langue locale)
Batoufam est un village de l’ouest Cameroun, en pays Bamiléké. Afin que tu te situes,
Ce village, il est situé à 291 km de Douala, 288 km de Yaoundé et 25 km de Bafoussam. J’y ai d’ailleurs rencontré Sa Majesté Nayang Toukam Inocent.
Le Royaume Batoufam est riche d’histoire, témoin du savoir-faire éclectique de son peuple dont les aspects essentiels ont été préservés et sont d’ailleurs toujours visibles depuis sa fondation au XVIIIe siècle. À travers l’architecture du palais labyrinthique et le discours de Paule Dassi, muséologue et guide, on visualise l’histoire et l’organisation socio-politique de Batoufam.
J’y ai passé plusieurs nuits. La chefferie dispose en son cœur, de 4 chambres d’hôtes, une occasion de prolonger le moment, un restaurant donnant sur l’étang royal et leur boutique de souvenirs. J’y ai acheté majoritairement trois choses : le miel savoureux d’Oku, des pièces en céramique qui proviennent d’un village non loin de Bamenda et nos instruments traditionnels.
Mbombo, avec le temps, j’ai appris et compris que la tradition constitue l’ensemble des acquisitions que les générations successives ont accumulées, dans les domaines de l’esprit et de la vie pratique. Elle est la somme de la sagesse détenue par une société à un moment donné de son existence. D’ailleurs en échangeant avec Sa Majesté Nayang Toukam Inocent, j’ai aussi intégré qu’elle est un moyen de communication entre les défunts et les vivants, car elle représente la “parole” des ancêtres. Je sais que tu aurais partagé cet avis.
J’ai profité pour découvrir l’ouest, et faire le programme de la route des chefferies.
C’est un programme né de l’initiative de la diaspora camerounaise de Nantes, fédérée autour de l’APLC – Association Pays de La Loire-Cameroun – qui face au phénomène du choc des civilisations, tente de promouvoir la protection et la conservation des patrimoines tangibles et intangibles et surtout de favoriser chez les Camerounais un processus d’appropriation des valeurs identitaires. C’est un peu la mouvance dans laquelle je suis mbombo, connaître qui je suis et les histoires de mes ancêtres.
D’ailleurs, je me suis rendue au Musée des civilisations, qui a ouvert ses portes en 2010, aux abords du lac municipal de Dschang, une ville située dans le département de la Menoua. C’est environ 500 objets et 1 500 illustrations que le lieu nous offre sous forme d’expositions permanentes et temporaires. Une belle manière de redécouvrir l’identité plurielle et complexe des Camerounais : des peuples des forêts, des mers aux Soudano-Sahéliens.
On y découvre ainsi les techniques de construction des cases obus, les danses des vierges toupouries (nord du Cameroun), les forêts sacrées, les rites de purification du Ngondo (fête traditionnelle sawa)
Le reste du temps, je me suis contentée de m’asseoir, de discuter avec les gens et de prendre plaisir de prendre un bol d’air. A ceux qui liront cette lettre avec toi, je leur dirai de venir découvrir le Cameroun, notre Afrique en miniatures et de se laisser porter aux rythmes du vent, des traditions et de l’odeur de nos mets.
Avec toute mon affection…
Ton enfant.