2005. En route vers le Serengeti, je croise quelques Maasaï le long de la route. Leur silhouette longiligne, leur beauté et leurs couleurs, m’intriguent et me poussent à passer quelques mois plus tard une semaine dans un de leurs villages.

Peuple le plus connu de l’Afrique de l’Est, les Maasaï jouent le rôle d’ambassadeur des peuples du Rift. Ils se distinguent par un art corporel raffiné, orné de nombreux bijoux, de couvertures rouges ou bleues selon les clans. Quant aux Moranes, une classe d’âge composée de jeunes gens sortis de la puberté et jusqu’à l’âge de 30 ans parfois, ils se laissent pousser les cheveux, se couvrent parfois le corps d’ocre rouge, et portent de longues tresses enduites de beurre et d’ocre.

Outre les Maasaï, la Grande Vallée du Rift Africain, surnommée aussi le Berceau de l’Humanité, regroupe en réalité une extraordinaire diversité ethnique, le tout dans un cadre naturel extraordinaire, la grande faille du Rift, qui cisaille sur près de 6000 kilomètres toute la partie Est du continent noir.

Leur art est directement influencé par les nombreuses migrations qu’ils ont connues. Alors que les peuples sédentaires d’Afrique de l’Ouest ont développé les arts architecturaux, mobiliers, rituels basés sur la statuaire et les masques, les peuples pastoraux du Rift, empêchés par leur mobilité incessante de développer un art lourd et encombrant, ont fait de leurs corps le principal terrain d’expression de leur sensibilité artistique : scarifications, tatouages et lobes ou lèvres distendus et parés de disques, bijoux aux formes et couleurs infinies, vêtements du quotidien ou de cérémonie, ornés de perles et de cauris, ces coquillages symboles de la fertilité, des peintures corporelles ou encore des coiffes très élaborées et ces casques d’argile…

Mais au delà de cette généralité, c’est l’identité propre de chaque tribu qui frappe. Chaque tribu possède ses propres codes vestimentaires, ses bijoux et un art corporel bien distinct et qui l’identifie en un clin d’œil. Une démarche si éloignée de notre monde occidental globalisé.

Parmi tous ces peuples, ce sont les peuples de l’Omo qui ont attiré le plus l’attention et parmi eux, les Mursi et les Surmas, les plus spectaculaires avec les labrets (plateaux labiaux) qui ornent les lèvres des femmes. Les scarifications aussi y sont nombreuses mais l’art vestimentaire y est minimal.

Mais les autres ethnies sont tout aussi dignes d’intérêt. Tels les Karo et leurs casques d’argile, ou les Nyangatom, dont les femmes peuvent arborer avec élégance des robes en peau de chèvre rehaussées de perles formant des motifs géométriques que ne renieraient pas les plus grands couturiers italiens. Ou les Hamer, dont les femmes se couvrent de terre ocre mélangée à de la graisse végétale de la même façon que les femmes Himbas de Namibie, dont on a du mal à imaginer qu’ils ne se soient pas croiser un jour, tant les similarités sont frappantes.

Plus au Sud, en traversant la frontière kenyane le long du lac Turkana, les rencontres sont tout aussi passionnantes. Les Turkana notamment, vivent dans des conditions climatiques difficiles, qui explique leur rudesse à la première rencontre, et dont les femmes portent ces colliers si particuliers pesant plusieurs kilos qui sont leur marque identitaire. Ou les Rendille et leurs bustes en cuir, les Pokot aux énormes colliers circulaires et colorés ou encore les Samburus, dont les fameux Moranes, arborent casques, bracelets et vêtements d’une rare élégance.

Mais il ne faut pas non plus oublier des peuples moins connus, tels les Hadzabe ou les Datoga aux abords du Lac Eyasi en Tanzanie. Les Hadzabe sont des chasseurs-cueilleurs qui gardent certaines traditions vestimentaires du fait de leurs fréquents déplacements en quête de gibier, portant notamment des coiffes imposantes faites de fourrures de babouin. Les Datoga, forgerons quasi inconnus, excellent eux dans les bracelets et les colliers de cuivre d’une beauté impressionnante en fondant de vieux cadenas et autres objets retrouvés.

Mais ce rapide tour d’horizon serait incomplet sans un retour vers la pointe extrême Nord du Rift, aux abords du Golf d’Aden.

Avec d’abord le peuple Afar, qui vit dans cette région appelée le Triangle Afar, où se rejoignent les trois failles Golfe d’Aden / Mer Rouge / Rift Africain. Avec ensuite les peuples du Tigray et du Shoa, installés sur les hauts plateaux d’Abyssinie et dont l’histoire remonte à plus de 3000 ans, avec la fondation du premier empire par Menelik Ier, le fils que la reine de Saba et du roi Salomon… Christianisés dès le début du IVème, la culture de ces peuples se maximise lors des grandes fêtes orthodoxes, suivies dans les églises troglodytiques du Tigray ou les villes historiques comme Lalibela, célèbre pour ses églises en forme de croix creusées à même le sol.

J’ai immortalisé ces peuples fascinants et leur extrême diversité dans un livre, Portraits du Rift, en suivant une démarche similaire à celle du grand photographe Sebastiao Salgado, pour qui « partout les gens sont beaux, partout ils veulent être représentés de manière digne ». Ce livre est un témoignage, car les temps et les mœurs évoluent très vite et la liberté et l’autonomie de ces peuples tendent à se réduire face aux pressions politiques et à l’influence du tourisme, avec comme conséquence une perte graduelle de traditions parfois ancestrales. Que deviendront dès lors ces peuples et leurs coutumes dans cinq, dix ou vingt ans ?

Adresse utile
De nombreuses agences organisent aujourd’hui des voyages à la rencontre de diverses tribus. Mais afin de pouvoir vivre ces rencontres en toute authenticité et avec la sobriété nécessaire, un nom s’impose, celui de Jean-Yves Marteau, un Français installé à Nairobi, grand spécialiste du trek, et qui a parcouru ces régions de fond en comble.

Jean-Yves Marteau
AFRICAN RIFT ODYSSEY
Nairobi
www.africanriftodyssey.com

Le Livre
Portraits du Rift, par Benoît Feron
Editions Regards Passion, Bruxelles, 2016, 144 pages
Commande : [email protected]